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tagne et aboutit au couvent, regardant la mer qui me sépare de tant de choses et de tant d’êtres que j’ai connus et aimés, mais qui ne me sépare pas de leur souvenir. Je repassais ma vie écoulée, je me rappelais des heures pareilles passées sur tant de rivages divers et avec des pensées si différentes ; je me demandais si c’était bien moi qui étais là au sommet isolé du mont Carmel, à quelques lieues de l’Arabie et du désert, et pourquoi j’y étais ; et où j’allais ; et où je reviendrais ; et quelle main me conduisait ; et qu’est-ce que je cherchais sciemment, ou à mon insu, dans ces courses éternelles à travers le monde. J’avais peine à recomposer un seul être de moi-même avec les phases si opposées et si imprévues de ma courte existence ; mais les impressions si vives, si lucides, si présentes, de tous les êtres que j’ai aimés et perdus, retentissaient toutes avec une profonde angoisse dans le même cœur, et me prouvaient trop que cette unité, que je ne retrouvais pas dans ma vie, se retrouvait tout entière dans mon cœur ; et je sentais mes yeux se mouiller en regardant le passé, où je n’apercevais déjà que cinq ou six tombeaux, où mon bonheur s’était déjà cinq ou six fois englouti. Puis, selon mon instinct, quand mes impressions deviennent trop fortes et sont près d’écraser ma pensée, je les soulevais d’un élan religieux vers Dieu, vers cet infini qui reçoit tout, qui absorbe tout, qui rend tout ; je le priais, je me soumettais à sa volonté toujours bonne ; je lui disais : « Tout est bien, puisque vous l’avez voulu. Me voici encore ; continuez à me conduire par vos voies et non par les miennes ; menez-moi où vous voudrez et comme vous voudrez, pourvu que je me sente conduit par vous ; pourvu que vous vous révéliez de temps en temps à mes ténèbres par un de ces rayons de l’âme qui