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saluait en italien : c’était celle d’un ancien vice-consul de France à Saint-Jean d’Acre, M. Cattafago, personnage très-connu et très-important dans toute la Syrie, où son titre d’agent des Européens, son amitié avec Abdalla, pacha d’Acre, son commerce et ses richesses, l’ont rendu célèbre et puissant. Il est encore consul d’Autriche à Saint-Jean d’Acre. Son costume répondait à sa double nature d’Arabe et d’Européen. Il était vêtu de la pelisse rouge fourrée d’hermine, et portait un immense chapeau à trois cornes, signe distinctif des agents français en Orient : ce chapeau date du temps de la guerre d’Égypte ; c’est la défroque religieusement conservée de quelque général de brigade de Bonaparte : on ne le met sur la tête que dans les occasions officielles, dans les audiences du pacha, ou lorsqu’un Européen passe dans le pays. Ce sont ses dieux pénates qu’on s’imagine lui faire revoir. M. Cattafago était un petit vieillard, à la physionomie spirituelle, forte et perçante des Arabes ; ses yeux, pleins d’un feu adouci par la bienveillance et la politesse, éclairaient sa figure d’un rayon d’une intelligence supérieure. On concevait, au premier coup d’œil, l’ascendant qu’un pareil homme avait dû prendre sur des Arabes et des Turcs, qui manquent en général de ce principe d’activité qui petillait dans les regards et se trahissait dans les mouvements et dans les gestes de M. Cattafago. Il tenait à la main un paquet de lettres pour moi, qu’il venait de recevoir de la côte de Syrie par un courrier d’Ibrahim-Pacha, et une série de journaux français qu’il reçoit lui-même. Il avait pensé avec raison qu’il y aurait pour un voyageur français surprise et plaisir à trouver ainsi au milieu du désert, et à mille lieues de sa patrie, des nouvelles fraîches de l’Europe. Je lus les lettres, qui me don-