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11 juillet 1832, à la voile.


Aujourd’hui, à cinq heures et demie du matin, nous avons mis à la voile. Quelques amis de peu de jours, mais de beaucoup d’affection, avaient devancé le soleil pour nous accompagner à quelques milles en mer, et nous porter plus loin leur adieu. Notre brick glissait sur une mer aplanie, limpide et bleue, comme l’eau d’une source à l’ombre dans le creux d’un rocher. À peine le poids des vergues, ces longs bras du navire chargés de voiles, faisaient-ils légèrement incliner tantôt un bord, tantôt un autre. Un jeune homme de Marseille[1] nous récitait des vers admirables, où il confiait ses vœux pour nous aux vents et aux flots : nous étions attendris par cette séparation de la terre, par ces pensées qui revolaient au rivage, qui traversaient la Provence, et allaient vers mon père, vers mes sœurs, vers mes amis ; par ces adieux, par ces vers, par cette belle ombre de Marseille, qui s’éloignait, qui diminuait sous nos yeux ; par cette mer sans limite qui allait devenir pour longtemps notre seule patrie.

Ô Marseille ! ô France ! tu méritais mieux : ce temps, ce pays, ces jeunes hommes, étaient dignes de contempler un véritable poëte, un de ces hommes qui gravent un monde et une époque dans la mémoire harmonieuse du genre hu-

  1. M. Autran.