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une chaîne de collines à pic, noires, dépouillées, creusées de ravines profondes, tachetées de distance en distance par d’immenses pierres éparses et volcaniques, s’étendait tout le long du rivage que nous allions côtoyer ; et, s’avançant en promontoire sombre et nu, à peu près au milieu de la mer, nous cachait la ville de Tibériade et le fond du lac du côté du Liban. Nul d’entre nous n’élevait la voix ; toutes les pensées étaient intimes, pressées et profondes, tant les souvenirs sacrés parlaient haut dans l’âme de chacun de nous. Quant à moi, jamais aucun lieu sur la terre ne me parla au cœur plus fort et plus délicieusement. J’ai toujours aimé à parcourir la scène physique des lieux habités par les hommes que j’ai connus, admirés, aimés ou révérés, parmi les vivants comme parmi les morts. Le pays qu’un grand homme a habité et préféré, pendant son passage sur la terre, m’a toujours paru la plus sûre et la plus parlante relique de lui-même ; une sorte de manifestation matérielle de son génie, une révélation muette d’une partie de son âme, un commentaire vivant et sensible de sa vie, de ses actions et de ses pensées. Jeune, j’ai passé des heures solitaires et contemplatives, couché sous les oliviers qui ombragent les jardins d’Horace, en vue des cascades éblouissantes de Tibur ; je me suis couché souvent le soir, au bruit de la belle mer de Naples, sous les rameaux pendants des vignes, auprès du lieu où Virgile a voulu que reposât sa cendre, parce que c’était le plus beau et le plus doux site où ses regards se fussent reposés. Combien plus tard j’ai passé de matins et de soirs assis aux pieds des beaux châtaigniers, dans ce petit vallon des Charmettes, où le souvenir de Jean-Jacques Rousseau m’attirait et me retenait par la sympathie de ses impressions, de ses rêveries, de ses malheurs et de son gé-