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solitaire, et la vaste plaine de Ptolémaïs s’ouvrait devant nous. Il était neuf heures du soir, au mois d’octobre ; nos chevaux, épuisés par une route de treize heures, posaient lentement leurs pieds ferrés sur les roches pointues et luisantes qui forment les seules routes en Syrie, gradins irréguliers de pierre, sur lesquels on n’oserait risquer aucune monture en Europe : nous-mêmes, accablés de lassitude, et frappés surtout de la grandeur du spectacle et des souvenirs pressés de la journée, nous marchions silencieusement à pied, tenant nos chevaux par la bride ; et jetant tantôt un regard sur cette mer que nous aurions à traverser pour revoir nos propres fleuves et nos propres montagnes, et tantôt sur la cime noire, longue et sans ondulation du mont Carmel, qui commençait à se dessiner aux dernières limites de l’horizon. Nous arrivâmes à une espèce de kan, c’est-à-dire à une masure à demi détruite, où un pauvre Arabe cultive quelques figuiers et quelques courges, entre les fentes des rochers, auprès d’une fontaine : la masure était occupée par des chameliers de Naplouse, apportant du blé en Syrie pour l’armée d’Ibrahim ; la fontaine était tarie par les chaleurs de l’automne. Nous plantâmes néanmoins nos tentes sur un sol couvert de pierres rondes et roulantes ; nous attachâmes nos chevaux au piquet, et nous bûmes, avec économie, quelques gouttes d’eau fraîche qui restait dans nos jarres des Puits de Salomon. — Depuis la plaine de Tyr et l’abaissement des montagnes, l’eau commence à manquer ; les fontaines sont à cinq ou six heures de distance les unes des autres, et souvent, quand vous arrivez, vous ne trouvez plus, dans le lit de la source, qu’une vase desséchée et brûlante qui garde l’empreinte des pieds des chameaux et des chèvres qui s’y sont les derniers abreuvés.