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ché ni planté par la main de l’homme, il y croît par groupes, et y étend ses rameaux en liberté avec bien plus de majesté, de diversité de formes et de grâce que dans nos contrées. Entre les groupes de ces arbres et quelques autres groupes de joncs et de grands roseaux qui couvraient aussi les îles, nous apercevions les arches brisées d’un vieux pont bâti par les anciens émirs du Liban, et tombé depuis des siècles. Au delà des arches de ce pont en ruine, la gorge s’ouvrait en entier sur une immense scène intérieure de vallées, de plaines et de collines semées de villages habités par les Druzes, et tout était enveloppé, comme un amphithéâtre, par une chaîne circulaire de hautes montagnes : ces collines étaient presque toutes vertes, et toutes vêtues de forêts de pins. Les villages, suspendus les uns au-dessus des autres, semblaient se toucher à l’œil ; mais quand nous en eûmes traversé quelques-uns, nous reconnûmes que la distance était considérable de l’un à l’autre, par la difficulté des sentiers et par la nécessité de descendre et de remonter les ravins profonds qui les séparent. Il y a tel de ces villages d’où l’on peut facilement entendre la voix d’un homme qui parle dans un autre village, et il faut cependant une heure pour aller de l’un à l’autre. Ce qui ajoutait à l’effet de ce beau paysage, c’était deux vastes monastères plantés, comme des forteresses, au sommet de deux collines derrière le fleuve, et qui ressemblaient eux-mêmes à deux blocs de granit noircis par le temps : l’un est habité par des Maronites qui se consacrent à l’instruction des jeunes Arabes destinés au sacerdoce. L’autre était désert : il avait appartenu jadis à la congrégation des lazaristes du Liban ; il servait maintenant d’asile et de refuge à deux jeunes jésuites envoyés là par leur ordre, sur la demande de l’évêque ma-