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fleurs d’automne. Bientôt nous aperçûmes une maison, entre les arbres, au bord du fleuve, et nous traversâmes à gué ce fleuve ou ce torrent. Là, nous nous arrêtâmes pour faire reposer nos chevaux, et pour jouir un moment nous-mêmes d’un des sites les plus extraordinaires que nous ayons rencontrés dans notre course.

La gorge au fond de laquelle nous étions descendus était remplie tout entière par les eaux du fleuve, qui bouillonnaient autour de quelques masses de rochers écroulés dans son lit. Çà et là quelques îles de terre végétale donnaient pied à des peupliers gigantesques qui s’élevaient à une prodigieuse hauteur, et jetaient leur ombre pyramidale contre les flancs de la montagne où nous étions assis. Les eaux du fleuve s’encaissaient à gauche entre deux parois de granit qu’elles semblaient avoir fendues pour s’y engouffrer ; ces parois s’élevaient à quatre ou cinq cents pieds, et, se rapprochant à leur extrémité supérieure, semblaient une arcade immense que le temps aurait fait écrouler sur elle-même. Là, des cimes de pins d’Italie étaient jetées comme des bouquets de giroflée sur les ruines des vieux murs, et se détachaient en vert sombre sur le bleu vif et cru du ciel. À droite, la gorge serpentait pendant environ un quart de mille entre des rives moins étroites et moins escarpées ; les eaux du fleuve s’étendaient en liberté, embrassant une multitude de petites îles ou de promontoires verdoyants ; toutes ces îles, toutes ces langues de terre étaient couvertes de la plus riche et de la plus gracieuse végétation. C’était la première fois que je revoyais le peuplier, depuis les bords du Rhône et de la Saône. Il jetait son voile pâle et mobile sur toute cette vallée du fleuve ; mais comme il n’est pas ébran-