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ment baie ; voyez si la nature n’a pas accompli en elle tout ce qui est écrit sur la jument qui doit porter le Messie : — Elle naîtra toute sellée. » — Je vis en effet sur ce bel animal un jeu de la nature assez rare pour servir l’illusion d’une crédulité vulgaire chez des peuples à demi barbares : — la jument avait, au défaut des épaules, une cavité si large et si profonde, et imitant si bien la forme d’une selle turque, qu’on pouvait dire avec vérité qu’elle était née toute sellée ; et, aux étriers près, on pouvait en effet la monter sans éprouver le besoin d’une selle artificielle. — Cette jument, magnifique du reste, semblait accoutumée à l’admiration et au respect que lady Stanhope et ses esclaves lui témoignent, et pressentir la dignité de sa future mission ; jamais personne ne l’a montée, et deux palefreniers arabes la soignent et la surveillent constamment, sans la perdre un seul instant de vue. Une autre jument blanche, et à mon avis infiniment plus belle, partage, avec la jument du Messie, le respect et les soins de lady Stanhope : nul ne l’a montée non plus. Lady Esther ne me dit pas, mais me laissa entendre que, quoique la destinée de la jument blanche fût moins sainte, elle en avait une cependant mystérieuse et importante aussi ; et je crus comprendre que lady Stanhope la réservait pour la monter elle-même, le jour où elle ferait son entrée, à côté du Messie, dans la Jérusalem reconquise. Après avoir fait promener quelque temps ces deux bêtes sur une pelouse hors de l’enceinte de la forteresse, et joui de la souplesse et de la grâce de ces superbes animaux, nous rentrâmes, et je renouvelai à lady Esther mes instances pour qu’elle me permit enfin de lui présenter M. de Parseval, mon ami et mon compagnon de voyage, qui m’avait suivi malgré moi chez elle, et qui attendait vainement, depuis le matin, une