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cuisinier d’Alep, nommé Aboulias, d’un jeune Syrien du pays, nommé Élias, qui, ayant déjà été au service des consuls, entend un peu d’italien et de français ; d’une jeune fille syrienne, parlant français aussi, et qui servira d’interprète pour les femmes ; enfin de cinq ou six palefreniers grecs, arabes, syriens, des différentes parties de la Syrie, destinés à soigner nos chevaux, à planter les tentes, et à nous servir d’escorte dans les voyages.

L’histoire de notre cuisinier arabe est trop singulière pour n’en pas conserver la mémoire.

Il était chrétien, jeune et intelligent ; il avait établi à Alep un petit commerce d’étoffes du pays qu’il allait vendre lui-même, monté sur un âne, parmi les tribus d’Arabes errants qui viennent l’hiver camper dans les plaines des environs d’Antioche. Son commerce prospérait ; mais sa qualité d’infidèle lui donnant quelque inquiétude, il jugea à propos de s’associer à un Arabe mahométan d’Alep. Le commerce n’en alla que mieux, et Aboulias se trouva, au bout de quelques années, un des marchands les plus accrédités du pays. Mais il était épris d’une jeune Grecque-Syrienne ; on ne voulait la lui accorder qu’à condition de quitter Alep, et de venir s’établir dans les environs de Saïde, où demeurait la famille de sa belle fiancée. Il fallut liquider sa fortune : une querelle s’éleva entre les deux associés pour le partage des richesses acquises en commun. L’Arabe mahométan dressa une embûche au pauvre Aboulias : il aposta des témoins cachés qui, dans une dispute avec son associé, l’entendirent blasphémer Mahomet, crime mortel pour un infidèle. Aboulias fut mené au pacha, et condamné à être