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pieds de haut d’un seul jet, et ils étendent de l’un à l’autre leurs larges têtes immobiles, qui couvrent d’ombre un espace immense ; des sentiers de sable glissent sous les troncs des pins, et présentent le sol le plus doux aux pieds des chevaux. Le reste du terrain est couvert d’un léger duvet de gazon, semé de fleurs du rouge le plus éclatant ; les oignons de jacinthes sauvages sont si gros, qu’ils ne s’écrasent pas sous le fer des chevaux. À travers les cotonnades de ces troncs de sapin, on voit d’un côté les dunes blanches et rougeâtres de sable qui cachent la mer ; de l’autre, la plaine de Bagdhad et le cours du fleuve dans cette plaine, et un coin du golfe, semblable à un petit lac, tant il est encadré par l’horizon des terres, et les douze ou quinze villages arabes jetés sur les dernières pentes du Liban, et enfin les groupes du Liban même, qui font le rideau de cette scène. La lumière est si nette et l’air si pur, qu’on distingue, à plusieurs lieues d’élévation, les formes des cèdres ou des caroubiers sur les montagnes, ou les grands aigles qui nagent, sans remuer leurs ailes, dans l’océan de l’éther. Ce bois de pins est certainement le plus magnifique de tous les sites que j’ai vus dans ma vie. Le ciel, les montagnes, les neiges, l’horizon bleu de la mer, l’horizon rouge et funèbre du désert de sable ; les lignes serpentantes du fleuve ; les têtes isolées des cyprès ; les grappes des palmiers épars dans les campagnes ; l’aspect gracieux des chaumières couvertes d’orangers et de vignes retombant sur les toits ; l’aspect sévère des hauts monastères maronites, faisant de larges taches d’ombre ou de larges jets de lumière sur les flancs ciselés du Liban ; les caravanes de chameaux chargés des marchandises de Damas, qui passent silencieusement entre les troncs d’arbres ; des bandes de pauvres Juifs montés sur des ânes,