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Même date, à deux heures.


Le capitaine du brick a reconnu les cimes du mont Liban. Il m’appelle pour me les montrer ; je les cherche en vain dans la brume enflammée où son doigt me les indique. Je ne vois rien que le brouillard transparent que la chaleur élève, et, au-dessus, quelques couches de nuages d’un blanc mat. Il insiste, je regarde encore, mais en vain. Tous les matelots me montrent en souriant le Liban ; le capitaine ne comprend pas comment je ne le vois pas comme lui. « Mais où le cherchez-vous donc ? me dit-il ; vous regardez trop loin. Ici, plus près, sur nos têtes. » En effet, je levai les yeux alors vers le ciel, et je vis la crête blanche et dorée du Sannin, qui planait dans le firmament au-dessus de nous. — La brume de la mer m’empêchait de voir sa base et ses flancs. — Sa tête seule apparaissait rayonnante et sereine dans le bleu du ciel. C’est une des plus magnifiques et des plus douces impressions que j’aie ressenties dans mes longs voyages. C’était la terre où tendaient toutes mes pensées du moment, comme homme et comme voyageur ; c’était la terre sacrée, la terre où j’allais de si loin chercher les souvenirs de l’humanité primitive ; et puis c’était la terre où j’allais enfin faire reposer dans un climat délicieux, à l’ombre des orangers et des palmiers, au bord des torrents de neige, sur quelque colline fraîche et verdoyante, tout ce que j’avais de plus cher au monde, ma femme et Julia. Je ne doute pas qu’un an ou deux passés sous ce beau ciel