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— il repart avec l’Actéon. — Nous continuerons seuls notre navigation vers Chypre et la Syrie.

Deux jours passés à Rhodes à parcourir cette première ville turque : — caractère oriental des bazars, boutiques moresques en bois sculpté : — rue des Chevaliers, où chaque maison garde encore intacts, sur sa porte, les écussons des anciennes maisons de France, d’Espagne, d’Italie et d’Allemagne. — Rhodes a de beaux restes de ses fortifications antiques ; la riche végétation d’Asie qui les couronne et les enveloppe leur donne plus de grâce et de beauté que n’en ont celles de Malte : — un ordre qui put se laisser chasser d’une si magnifique possession recevait le coup mortel ! Le ciel semble avoir fait cette île comme un poste avancé sur l’Asie : — une puissance européenne qui en serait maîtresse tiendrait à la fois la clef de l’Archipel, de la Grèce, de Smyrne, des Dardanelles, de la mer d’Égypte et de la mer de Syrie. — Je ne connais au monde ni une plus belle position militaire maritime, ni un plus beau ciel, ni une terre plus riante et plus féconde. — Les Turcs y ont imprimé ce caractère d’inaction et d’indolence qu’ils portent partout : tout y est dans l’inertie et dans une sorte de misère. — Mais ce peuple, qui ne crée rien, qui ne renouvelle rien, ne brise et ne détruit rien non plus : il laisse au moins agir la nature librement autour de lui ; il respecte les arbres jusqu’au milieu même des rues et des maisons qu’il habite ; de l’eau et de l’ombre, le murmure assoupissant et la fraîcheur voluptueuse, sont ses premiers, sont ses seuls besoins. — Aussi, dès que vous approchez, en Europe ou en Asie, d’une terre possédée par les musulmans, vous la reconnaissez de loin au riche et sombre voile de verdure qui flotte gracieusement sur