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toujours vivante du verbe de la sagesse grecque, de ce Platon dont je serais le disciple, si le Christ n’avait ni parlé, ni vécu, ni souffert, ni pardonné en expirant.

Nuit terrible passée au milieu des Cyclades. — Le vent baisse au milieu du jour ; — belle et douce navigation jusqu’au soir. À la nuit, coup de vent furieux entre l’île d’Armagos et celle de Stampalia. — Gémissement douloureux du navire ; coups sourds de la lame sur la poupe. — Roulis qui nous jette tantôt sur une vague, tantôt sur une autre. Je passe la nuit à soigner l’enfant et à me promener sur le pont. Nuit douloureuse ! Combien de fois je frémis en pensant que j’ai mis tant de vies sur une seule chance ! Que je serais heureux si un esprit céleste emportait Julia sous les ombres paisibles de Saint-Point ! Ma vie à moi, à moitié usée, a perdu plus de la moitié de son prix pour moi-même, mais cette vie, encore mienne, qui brille dans ces beaux yeux, qui palpite dans cette jeune poitrine, m’est cent fois plus chère que la mienne ! c’est pour celle-là surtout que je prie avec ferveur le souffle qui soulève les vagues d’épargner ce berceau que je lui ai si imprudemment confié. — Il m’exauce ; les vagues s’aplanissent, le jour paraît, les îles fuient derrière nous ; Rhodes se montre à droite, dans le lointain brumeux de l’horizon d’Asie ; et les hautes cimes de la côte de Caramanie, blanches comme la neige des Alpes, s’élèvent resplendissantes au-dessus des nuages flottants de la nuit. — Voilà donc l’Asie !

L’impression surpasse celle des horizons de la Grèce : on sent un air plus doux ; la mer et le ciel sont teints d’un bleu plus calme et plus pâle ; la nature se dessine en masses plus