Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 6.djvu/136

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendre aussi mugir derrière lui. Je m’assis là, seul et pensif, et j’y restai jusqu’à la nuit presque close, ranimant sans efforts toute cette histoire, la plus belle, la plus pressée, la plus bouillonnante de toutes les histoires d’hommes qui aient remué le glaive ou la parole. Quels temps pour le génie ! et que de génie, de grandeur, de sagesse, de lumière, de vertu même (car non loin de là mourut Socrate) pour ce temps ! Ce moment-ci y ressemble en Europe, et surtout en France, cette Athènes vulgaire des temps modernes. — Mais c’est l’élite seule de la France et de l’Europe qui est Athènes ; la masse est barbare encore ! Supposez Démosthène parlant sa langue brûlante, sonore, colorée, à une réunion populaire d’une de nos cités actuelles : qui la comprendrait ? L’inégalité de l’éducation et de la lumière est le grand obstacle à notre civilisation complète moderne. Le peuple est maître, mais il n’est pas capable de l’être ; voilà pourquoi il détruit partout, et n’élève rien de beau, de durable, de majestueux nulle part ! Tous les Athéniens comprenaient Démosthène, savaient leur langue, jugeaient leur législation et leurs arts. — C’était un peuple d’hommes d’élite ; il avait les passions du peuple, il n’avait pas son ignorance ; il faisait des crimes, mais pas de sottises. — Ce n’est plus ainsi : voilà pourquoi la démocratie, nécessaire en droit, semble impossible en fait dans les grandes populations modernes. — Le temps seul peut rendre les peuples capables de se gouverner eux-mêmes. — Leur éducation se fait par leurs révolutions.

Le sort de l’orateur, comme Démosthène ou Mirabeau, les deux seuls dignes de ce nom, est plus séduisant que le sort du philosophe ou du poëte ; l’orateur participe à la fois