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Même jour, le soir.


Nous naviguons délicieusement par un vent favorable qui nous pousse entre le cap Matapan et l’île de Cérigo.

Un pirate grec s’approche de nous pendant que la frégate est à quelques lieues en mer, à la poursuite d’un bâtiment suspect. Le brick grec n’est qu’à une encâblure de nous. Nous montons tous sur le pont : nous nous préparons au combat ; nos canons sont chargés ; le pont est jonché de fusils et de pistolets. Le capitaine somme le commandant du brick grec de se retirer. Celui-ci, voyant vingt-cinq hommes bien armés sur notre pont, se décide à ne pas risquer l’abordage. Il s’éloigne, il revient une seconde fois, et touche presque à notre bâtiment. Nous allons faire feu. Il se retire et s’excuse encore, et reste pendant un quart d’heure à portée de pistolet. Il prétend qu’il est comme nous un bâtiment marchand rentrant dans l’Archipel. J’observe son équipage. Jamais je n’ai vu des figures où le crime, le meurtre et le pillage fussent écrits en plus hideux caractères. On aperçoit quinze ou vingt bandits, les uns en costume albanais, les autres avec des lambeaux d’habits européens, assis, couchés, ou manœuvrant sur son bord. Tous sont armés de pistolets et de poignards dont les manches étincellent de ciselures d’argent. Il y a du feu sur le pont, où deux femmes âgées font cuire du poisson. Une jeune fille de quinze à seize ans paraît de temps en temps parmi ces mégères : figure cé-