Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 5.djvu/262

Cette page n’a pas encore été corrigée

leurs chevaux harassés aux barreaux de fer des fenêtres basses. Ce sont des fermiers de nos montagnes en veste de velours noir, en guêtres de cuir ; des maires des villages voisins, de bons vieux curés à la couronne de cheveux blancs, trempés de sueur ; de pauvres veuves des villes prochaines, qui seraient heureuses d’un bureau de poste ou de timbre, qui croient à la toute-puissance d’un homme dont le journal du chef-lieu a parlé, et qui se tiennent timidement en arrière sous les grands tilleuls de l’avenue, avec un ou deux pauvres enfants à la main. Chacun a son souci, son rêve, son affaire ; il faut les entendre, serrer la main à l’un, écrire un billet pour l’autre, donner quelque espérance à tous. Tout cela se fait en rompant, sur le coin de la table chargée de vers, de prose et de lettres, un morceau de ce pain de seigle odorant de nos montagnes, assaisonné de beurre frais, d’un fruit du jardin, d’un raisin de la vigne. Frugal déjeuner de porte et de laboureur, dont les oiseaux attendent les miettes sur mon balcon. Midi sonne ; j’entends mes chevaux caressants brunir et creuser du pied le sable de la cour, comme pour m’appeler. Je dis bonjour et adieu aux hôtes de la maison qui restent jusqu’au soir ; je monte à cheval et je pars au galop, laissant derrière moi toutes les pensées du matin pour aller à d’autres soucis du jour. Je m’enfonce dans les sentiers creux et escarpés de nos vallées ; je gravis et je redescends pour gravir encore nos montagnes ; j’attache mon cheval à bien des arbres, je frappe à plusieurs portes ; je retrouve ici et là mille affaires pour moi ou pour les autres, et je ne rentre qu’à la nuit, après avoir savouré, pendant six ou sept heures de routes solitaires, tous les rayons du soleil, toutes les teintes des feuilles jaunissantes, toutes les odeurs, tous les bruits gais ou tristes de nos grands paysages dans les jours d’automne. Heureux si en rentrant, harassé de fatigue, je trouve par hasard au coin du feu quelque ami arrivé pendant mon