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CHAPITRE VI.

sées que j’avais, je lui mettais un nouveau fil à la patte, tantôt brun, tantôt rouge, tantôt blanc, comme mes pensées elles-mêmes, selon leur couleur ; puis je battais mes mains l’une contre l’autre pour l’effrayer un peu, afin qu’elle s’envolât vers Hyeronimo et qu’elle le désennuyât par ses caresses.

Hyeronimo, de son côté, lui baisait la gorge et lui remettait toujours à la patte le fil bleu de sa ceinture, qui voulait dire : amour ou amitié entre lui et moi. Ah ! si nous avions su écrire ! Mais où aurions-nous appris nos lettres ? nos pères, nos mères, nos oncles ne savaient que par cœur leurs prières. Hormis les courts moments où mon service m’appelait dans la cour et où je pouvais entrer dans le cachot et baiser ses chaînes, nos seuls moyens de communication ensemble étaient donc la colombe et la zampogne.

Je continuai à en jouer tous les soirs et une partie des nuits, pour reporter par les sons la pensée d’Hyeronimo en haut, vers moi et vers nos beaux jours dans la montagne. La femme du bargello aimait bien les airs que je jouais ainsi pour un autre, et elle me disait le matin :

— Je ne sais pas ce qu’il y la dans ta zampogne, mais elle me fait rêver et pleurer malgré moi, comme si elle disait je ne sais quoi de ma jeunesse à mon cœur ; ne crains pas, mon garçon, d’en jouer tout à ton aise, même quand tu devrais me tenir éveillée pour l’entendre : j’ai plus de plaisir à veiller qu’à dormir, en l’écoutant.