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CHAPITRE VI.

la jeunesse ne se défie de rien, pas plus que l’amour et le chagrin.

Enfin, après une heure d’entretien, nous étions bons amis, quoique je fusse le porte-clefs et elle la prisonnière.

— Est-ce que vous ne donneriez pas beaucoup, lui demandai-je, pour que votre petit eût deux tasses de lait au lieu d’une ?

— Oh ! dit-elle, je donnerais tout, car le petit souffre de la faim avec mon lait, qui est si rare et si amer sans doute ; mais je n’ai plus un baïoque à donner contre du lait. Que faire ?

— Est-ce que vous ne possédez aucun objet de petit prix à faire vendre pour vous procurer un petit adoucissement de plus pour le petit qui est si maigre ?

— Moi, dit-elle, en paraissant chercher dans sa mémoire sans y rien trouver : non, je n’ai plus rien au monde, dans les poches de ma veste, que sa boucle d’oreille de laiton cassée, qu’il m’avait donnée le jour de nos noces, et la lime que je lui avais achetée pour limer sa ceinture de fer et qu’il m’a rendue en s’évadant, comme deux reliques de notre amour et de notre délivrance. Mais, excepté le cœur de celle à qui ces reliques rappellent des heures tristes ou douces, qui est-ce qui donnerait un carlin de cela ?

— Moi, lui dis-je, non point des carlins ou des baïoques, parce que je n’en ai point à ma disposition, mais deux écuelles de lait au lieu d’une, parce que je puis doubler à mon gré les rations des prisonniers, et cela dans