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CHAPITRE VI.

son père, plutôt comme son frère que comme un criminel réprouvé du monde.

Elle avait souvent l’occasion de lui parler, et toujours avec douceur, soit pour le remercier de ses attentions a l’égard du vieillard, soit pour le remercier du double travail qu’il s’imposait pour son soulagement.

Ces conversations, d’abord rares et courtes, avaient fini par amener, entre elle et lui, une amitié secrète, puis enfin un amour que ni l’un ni l’autre ne savaient bien dissimuler. Cet amour éclata en dehors à la mort du père. Tant qu’il avait vécu, la bonne fille n’avait pas voulu tenter de délivrer son amant pour ne pas priver son vieux père des douceurs qu’il trouvait dans son jeune camarade de chaîne, et pour qu’on ne punît pas le vieillard de l’évasion du jeune homme ; mais quand son père fut mort et que la pauvre enfant pensa qu’on allait donner je ne sais quel compagnon de lit et de fers à son amant, alors elle ne put plus tenir à sa douleur, à sa honte, et elle pensa à se perdre, s’il le fallait, pour le délivrer ; un signe, un demi-mot, une lime cachée dans un morceau de pain blanc rompu du bon côté, malgré le surveillant, sur le seuil de sa porte ; un rendez vous nocturne, indiqué a demi-voix pour la nuit suivante, sur la côte à l’embouchure de l’Arno, furent compris du jeune homme.

Sa liberté et son amante étaient deux mobiles plus que suffisants pour le décider à l’évasion : ses fers, limés dans la nuit, tombèrent sans bruit sur la paille ; il scia un bar-