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CHAPITRE V.

J’ouvris alors tout à fait les yeux, et qu’est-ce que je vis, monsieur ? Je vis sur le milieu du pont, devant moi, un magnifique chariot de riches paysans de la plaine du Cerchio, autour de Lucques, tout chargé de beau monde, en habit de noces, et recouvert contre le soleil d’un magnifique dais de toile bleue parsemée de petits bouquets de fleurs d’œillets, de pavots et de marguerites des blés, avec de belles tiges d’épis barbus jaunes comme de l’or, et des grappes de raisins mûrs, avec leurs pampres, et bleus comme à la veille des vendanges. Les roues massives, les ridelles ou balustrades du chariot étaient tout encerclées de festons de branches en fleurs ; sur le plancher du chariot, grand comme la chambre où nous sommes, il y avait des chaises, des bancs, des matelas, des oreillers, des coussins, sur lesquels étaient assis ou couchés, comme des rois, d’abord les pères et les mères des fiancés, les frères et les sœurs des deux familles, puis les petits enfants sur les genoux des jeunes mères, puis les vieilles femmes aux cheveux d’argent qui branlaient la tête en souriant aux petits garçons et aux petites filles ; tout ce monde se penchait avec un air de curiosité et de bonté vers moi pour voir si l’éventail de la belle fiancée et les gouttes de rosolio de son sponso me rendraient l’haleine dans la bouche et la couleur aux joues.

Deux grands bœufs blancs, aussi luisants que le marbre des statues qui brillent sur le quai de Pise, étaient attelés au timon du char ; un petit bouvier de quinze ans, avec