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CHAPITRE V.

Si j’étais la Madone, pensais-je tout en jouant, il me semble que je serais flattée et attendrie par un air. J’y mêlais des soupirs et des paroles tout bas dans mon cœur, tout en jouant ; cela allait bien tant que l’air du couplet était sérieux, dévot et tendre comme mon idée ; mais à la fin du couplet, quand il fallut jouer la ritournelle, la ritournelle gaie, folle et sautillante comme les éclats de voix du pinson ivre de plaisir, au bord de son nid sur les branches, oh ! alors, monsieur, je pus a peine achever, malgré la dissonance si je n’achevais pas, et, malgré la peur de manquer ainsi à l’oreille de la Madone ; j’achevai cependant, mais le chalumeau s’échappa de mes doigts à la dernière note de gaieté qui contrastait trop fort avec mon désespoir : mes larmes me coupèrent le souffle, la zampogne se dégonfla dessous mon coude avec un long gémissement faux, comme de quelqu’un qu’on étrangle, et je roulai évanouie sur le pont sans regarder, sans voir, jusqu’à ce qu’un char à quatre bœufs, qui menait une noce de contadini, s’arrêta devant moi, à ce qu’on me dit depuis.

CXLIII

Je ne sais pas combien de temps, monsieur, je restai ainsi évanouie de douleur sur les marches de la petite chapelle, au milieu du pont, devant la niche grillée de la Ma-