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FIOR D’ALIZA.

— Ô ciel ! dit-il, la vigne est malade ; les passereaux eux-mêmes ne becquèrent plus les grappes, tant elles sont après ; une lune a passé par là.

— Allons voir, dirent ensemble les enfants, si la vigne, dans le champ, a pâli et séché sous la même lune. Ils y coururent et ils revinrent en pleurant, comme Adam et Ève qui sont en peinture là-haut aux Camaldules, quand ils virent pour la première fois mourir quoi ? un homme ? un animal ? un insecte ? non, une feuille !… quelque chose qui frémissait, mon bon Seigneur !…

La vigne, notre vigne à nous, n’était pas malade, elle était morte, morte pour toujours ; morte comme si elle n’avait jamais vécu. Ces belles larges feuilles qui étaient bien à nous, puisque leurs pampres nous avaient cherchés de si loin pour s’accrocher à nos tuiles sur le toit et à nos piliers de pierre devant la porte, et jusqu’aux lucarnes de la chambre haute de Fior d’Aliza, où elles se glissaient par les fentes du volet ; ces beaux sarments serpentant qui faisaient notre ombre l’été, notre gaieté l’automne, notre joie sur la table l’hiver, nous caressaient pour la dernière fois comme un chien qui meurt en vous léchant les pieds ; morts non pas pour tout le monde, monsieur, mais morts pour nous.

Une belle nuit, sans que nous nous en fussions doutés, le fattore (le métayer) du sbire propriétaire, prétendant que la séve, en montant jusqu’à notre cabane, appauvrissait la vigne-mère et stérilisait les ceps d’en bas, avait