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CHAPITRE IV.

quelques maïs égrenés sur le champ, ou quelques branches pendantes des mûriers, effeuillés par les cabris.

Il nous injuriait quelquefois et nous menaçait toujours de faire tuer les bêtes si l’on venait à les surprendre hors de nos limites. Que pouvions-nous faire, que demander excuse et qu’offrir de réparer le dommage a nos dépens ? Nous recommandions bien à Fior d’Aliza de tenir de près ses chevreaux et de ne pas quitter de l’œil les animaux. Mais comme elle avait rencontré deux ou trois fois le capitaine des sbires qui cherchait à l’approcher, qui lui avait pris le menton et qui avait voulu l’embrasser sur ses cheveux, en lui demandant si elle voudrait bien devenir sa femme quand elle aurait ses seize ans ; et comme, malgré les honnêtetés de cet homme, elle en avait peur et répugnance, à cause de Hyeronimo et de nous, qu’elle ne voulait jamais quitter des yeux ou du cœur, la petite n’aimait pas à rester toute seule loin de Hyeronimo et de nous ; c’est ce qui fait que les bêtes étaient bien moins gardées.

Quant à Hyeronimo, quand on lui parlait seulement du capitaine des sbires, il devenait pâle de colère comme le papier, et sa voix grondait en prononçant son nom, comme une eau qui bout dans la marmite de fer sur notre foyer ; pourtant, il ne lui souhaitait point de mal ; il était trop doux pour en faire à un enfant ; mais il voyait bien, sans que rien fût dit sur ce sujet entre nous, que cet homme puissant voulait nous enlever par caresse, par astuce ou par violence plus que le pré, la vigne, les mûriers ou notre