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avec le lecteur.

VI

« — Geneviève, lui dis-je, vous ne vous reposez donc jamais ?

» — Oh ! monsieur, me dit-elle, je n’ai pas été faite par le bon Dieu pour me reposer : j’ai commencé à travailler le jour où j’ai pu me tenir sur mes jambes, et je travaillerai jusqu’au jour de ma mort. Nous aurons bien le temps de nous reposer là-bas, ajouta-t-elle en me faisant un geste de la tête et du cou vers le cimetière, pour ne pas perdre une des mailles de son tricot en dérangeant sa main.

» — Comment, repris-je, vous avez travaillé si jeune ? Vous n’avez donc jamais été enfant, jamais joué avec les autres, jamais perdu le temps dans la rue, à la fenêtre, le long des buissons ? Votre mère était donc bien dure, ou bien avare de badinages et de désœuvrements avec ses enfants ? Mais alors comment avez-vous vous-même l’air si doux et si enjoué avec les enfants du village, que vous laissez jouer tout le jour dans la cour, arracher vos fleurs et tirer vos aiguilles, sans les gronder ?

» Ah ! monsieur, ceux-là c’est différent, voyez-vous : ils ont leur père et leur mère qui leur cuisent le pain ; mais moi je n’étais pas comme eux. Je n’ai jamais eu un peu de bon temps dans ma vie qu’ici, et depuis que monsieur le curé a consenti à me prendre à son service. Jusque-là je ne savais pas ce que c’était que de s’asseoir et de regarder le soleil, le feu ou les passants.