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notes.

grands hommes qui ont fait la gloire de la France, châteaux qui s’étaient donné le mandat de perpétuer cette gloire ! Enfants ingrats et sceptiques, nous sommes indifférents à tout. Puisque nous ne pouvons empêcher la mort et la dissolution de passer sur nous et d’éclaircir nos rangs, ne devrions-nous pas au moins apporter tous nos efforts, tous nos soins, à conserver les œuvres de nos pères, tout ce qui les rappelle à nous, tout ce qu’ils ont aimé, tout ce qui a été une part d’eux-mêmes ? Mais, loin de là, les châteaux, de nos jours, sont une puissance vaincue ; et, comme les Gaulois nos aïeux sous les murs de Rome, nous répétons la terrible maxime : Væ victis ! Qui nous dira maintenant quelles seront les bornes de ces fureurs ou tout au moins de cette indifférence ?

» Voici donc tout ce qui reste de l’antique château bâti par Pierre Terrail iii, et d’où sont sortis tous ces nobles rejetons qui portaient dans leurs armes une fleur de lis d’or, et écrivaient sur leurs écus : Prouesse et loyauté ! hommes de guerre et d’Église, valeureux et pieux, qui se résument dans le dernier d’entre eux, celui qui eut l’honneur de sacrer chevalier un roi de France, Pierre Bayard du Terrail. Voici tout ce qui reste, un double pan de muraille ! Encore quelques jours, et tout aura disparu, et il n’en restera plus trace. Peut-être, dans quelques siècles, les chroniqueurs indécis engageront un tournoi de paroles pour chercher à connaître la véritable position de l’ancien château que tout le monde délaisse aujourd’hui. Nous nous trompons : ce lieu a, dans le pays, une grande renommée, et la possession de ce terrain est un objet d’envie pour tous les propriétaires des environs, car c’est là que se récolte le meilleur vin

» Notre première journée d’exploration se passa presque tout entière à voir, à admirer les points de vue que nous avions sous les yeux. Mon compagnon en vain m’excitait à nous remettre en route, me disant qu’il voulait arriver le lendemain au village de Saint-Pierre de Chartreuse ; mais là n’était pas mon compte. Je n’avais pas entrepris cette longue et périlleuse course pour me voir si tôt ravir ce que j’étais allé chercher si loin et au péril de mes jarrets. Enfin je le priai tant, qu’il accorda toute cette journée à ce qu’il appelait mon enfantine admiration, et il fut convenu qu’il arriverait un jour plus tard au couvent, où du reste je m’engageai à me rendre avec lui. Nous étions déjà d’inséparables amis. Ce qui me plaisait en lui, c’est qu’il avait toujours quelque chose à me montrer, toujours quelque chose à me faire espérer, à me faire désirer. Rien pour lui n’avait atteint la per-