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épilogue.

C’est ainsi que ce juste élevait dans son âme,
Comme une hache au cœur, ce souvenir de femme !


Lorsqu’après cette fin, que je n’avais pu voir,
J’eus accompli pour lui le funèbre devoir,
De tout ce qu’il laissait me faisant ma famille,
Je voulus emmener Marthe, la pauvre fille !
Elle me répondit, en me montrant du doigt
L’arbuste enraciné dans les fentes du toit :
« À ces murs, comme lui, ma vie a pris racines ;
» On me laissera bien vieillir sous ces ruines.
» Qu’est-ce qui soignerait le chien abandonné ?
» On m’y rapportera le pain que j’ai donné ! »
Je sifflai vainement le chien du pauvre prêtre :
Il s’émut à la voix de l’ami de son maître,
Mais, flairant le sentier qui menait au cercueil,
Sans faire un pas plus loin, il me suivit de l’œil ;
Les oiseaux affranchis revinrent à leur cage ;
Et je n’emportai rien de son cher héritage
Que, sur sa croix de bois, son vieux Christ de laiton,
Ces feuillets déchirés, sa Bible et son bâton.


Depuis ce jour, au mois où l’on coupe les seigles,
Je monte tous les ans la montagne des Aigles,
Et, de mon pauvre ami le récit à la main,
De la grotte, en lisant, je refais le chemin ;
Du drame de ses jours j’explore le théâtre,
Et j’y trouve souvent son vieil ami le pâtre,
Qui, laissant ruminer à l’ombre son troupeau,
Rêve des deux amants, assis sur leur tombeau ;
Car, malgré le mystère et malgré la distance,
Jocelyn dort aussi près du corps de Laurence.