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jocelyn.

» Auprès de la fenêtre, où quelques pots de fleurs,
» D’iris, de réséda nous soufflaient les odeurs,
» Regarder en repos le soleil, qui se couche,
» De ses longs rayons d’or jouant sur notre couche ;
» Manger sur nos genoux nos fruits et notre pain,
» Nous agacer du coude ou nous prendre la main,
» Pendant que l’un de nous, de son pied qu’il soulève,
» Berçait dans son berceau l’enfant, riant d’un rêve !
» Ah ! monsieur, il me semble encor que je les vois !
» Cette image me tue et me coupe la voix.
» Le travail allait bien alors ; chaque semaine,
» Le salaire assidu suffisait à la peine ;
» La toile ne manquait jamais sur le métier,
» Et nous pouvions manger notre pain tout entier :
» Nous n’avions au bon Dieu que des grâces à rendre.
» Comment l’amour heureux rend la prière tendre !
» Et combien dans nos yeux de larmes de bonheur
» De ses dons tous les soirs rendaient grâce au Seigneur !
» Hélas ! ce temps fut court ; Dieu, du fond de l’abîme,
» Fit souffler dans les airs le mal qui nous décime ;
» Nos voisins tour à tour succombaient à ses coups,
» Et d’étage en étage il monta jusqu’à nous.
» Respirant la première une fièvre brûlante,
» Comme un tendre bourgeon qui gèle avant la plante,
» Notre enfant entre nous mourut en un clin d’œil.
» Je vendis sa croix d’or pour avoir un cercueil ;
» Sa mère de ses mains lui mit sa robe blanche,
» La para pour la mort comme pour un dimanche,
» Et, la couvrant cent fois de baisers et de pleurs,
» Jonchant ses beaux pieds joints des débris de nos fleurs,
» De son dernier bijou lui fit le sacrifice,
» Pour qu’avec les grands morts on lui fît un service ;
» Moi-même, dépouillant mon unique trésor,
» Arrachant de mon doigt, hélas ! mon anneau d’or,