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neuvième époque.

À ces signes, hélas ! si présents à mon âme,
Je reconnus soudain le cercueil d’une femme :
« Malheureux ! m’écriai-je en un premier transport,
» Parlez, que faisiez-vous ? Profaniez-vous la mort ?
» Vouliez-vous dérober au tombeau son mystère ?
» Osiez-vous disputer sa dépouille à la terre ? »
Son front à ce soupçon se redressa d’effroi ;
Il joignit ses deux mains sur le cercueil : « Ah ! moi,
» Moi profaner la mort et dépouiller la tombe !
» Ah ! si depuis deux jours sous ce poids je succombe,
» C’est pour n’avoir pas pu des vivants obtenir
» Une main de l’autel qui voulût la bénir,
» Une prière à part, hélas ! pour sa pauvre âme !
» Cette bière est à moi ; cette morte est ma femme !
» — Expliquez-vous, lui dis-je, et sur ce cher linceul,
» S’il est vrai, mon enfant, vous ne prierez pas seul ;
» Mes larmes tomberont du cœur avec les vôtres :
» Je n’en ai plus pour moi, mais j’en ai pour les autres. »
Je m’assis près du corps, dans le lit du torrent.
« J’étais, monsieur, dit-il, un pauvre tisserand.
» À celle que j’aimais marié de bonne heure,
» De travail et d’espoir dans notre humble demeure
» Nous vivions ; nos amours avaient été bénis
» D’un enfant de trois ans, vienne la Saint-Denis.
» Que nous étions heureux tous trois, toujours ensemble,
» Autour de ce métier où la tâche rassemble !
» Que de chants, de regards, de sourires d’amour,
» Sur la trame, entre nous, s’échangeaient tout le jour !
» Ma femme, à mes côtés, travaillant à l’aiguille,
» Me passant la navette, et la petite fille,
» De mon métier déjà comprenant les outils,
» Garnissant les fuseaux, ou dévidant les fils.
» Et le soir, quand le lin reposait sur la trame,
» Quel plaisir de nous voir assis, avec ma femme,