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jocelyn.

Valneige, 16 décembre 1803.

Ce soir, je remontais pour descendre demain,
Le cœur saignant, les pieds tout meurtris du chemin,
L’esprit anéanti du poids de leur misère,
Comme Jésus montant sous la croix son Calvaire ;
Je récitais tout bas les psaumes consacrés
Pour les âmes de ceux que j’avais enterrés.
La nuit enveloppait les muettes campagnes ;
Seulement, en montant, les crêtes des montagnes,
Que la lune tardive allait bientôt franchir,
D’une écume de jour commençaient à blanchir.
Elle parut enfin comme un charbon de braise
Qu’on tire, avant le jour, du creux de la fournaise,
Et, glissant sur la pente en ruisseau de clarté,
M’éclaira mon sentier, de tout autre écarté :
Dur sentier suspendu sur le bord des abîmes,
S’enfonçant dans la gorge et remontant les cimes,
Puis enfin, contournant la pente du rocher,
Allant avec mes yeux aboutir au clocher.
J’avais monté longtemps ; mon front à large goutte
Ruisselait de sueur découlant sur la route.
Quand je fus à peu près à moitié du chemin,
À l’endroit du sentier coupé par le ravin,
Sur l’arche du vieux pont, où le torrent dégorge,
Qui joint un bord à l’autre au creux noir de la gorge,
Sur le pied de la croix, qui s’élève au milieu
Je m’assis un moment, pour respirer un peu.