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jocelyn.

Le lac, déjà souillé par les feuilles tombées,
Les rejetait partout de ses vagues plombées ;
Rien ne se reflétait dans son miroir terni,
Et son écume morte aux bords avait jauni.
Des chênes qui couvraient l’antre de leurs racines,
Deux, hélas ! n’étaient plus que de mornes ruines ;
Leurs troncs couchés à terre étaient noirs et pourris,
Les lézards de leurs cœurs s’étaient déjà nourris.
Un seul encor debout, mais tronqué par l’orage,
Étendait vers la grotte un long bras sans feuillage,
Comme ces noirs poteaux qu’on plante avec la main,
Pour surmonter la neige et marquer un chemin.
Ah ! je connaissais trop cette fatale route !
Mes genoux fléchissants m’entraînaient vers la voûte ;
J’y marchais pas à pas sur des monceaux mouvants
De feuillages d’automne entassés par les vents.
En foulant ces débris que le temps décompose,
J’entendis résonner et craquer quelque chose
Sous mon pied ; vers le sol jauni je me baissai :
C’étaient des ossements, et je les ramassai.
Je reconnus, aux pieds, notre pauvre compagne,
Notre biche oubliée en quittant la montagne,
Et qui, morte sans doute ou de faim ou de deuil,
Avait laissé ses os blanchis sur notre seuil.
J’entrai sans respirer dans la grotte déserte,
Comme un mort, dont les siens ont oublié la perte,
Rentrerait inconnu dans sa propre maison,
Dont les murs qu’il bâtit ne savent plus son nom.
Mon regard d’un coup d’œil en parcourut l’enceinte,
Et retomba glacé comme une lampe éteinte.
Ô temple d’un bonheur sur la terre inconnu,
Hélas ! en peu de temps qu’étiez-vous devenu ?
Le sable et le limon, qui comblaient la poterne,
Ne laissaient plus entrer qu’un jour blafard et terne ;