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neuvième époque.

27 novembre.

Quatre hommes des chalets, sur des branches de saules,
Étaient venus chercher le corps sur leurs épaules ;
Nous partîmes la nuit, eux, un vieux guide, et moi.
Je marchais le dernier, un peu loin du convoi,
De peur que le sanglot, que j’étouffais à peine,
Ne trahît dans le prêtre une douleur humaine,
Et que sur mon visage en pleurs on ne pût voir
Lutter la foi divine avec le désespoir.
C’était une des nuits sauvages de novembre,
Dont la rigueur saisit l’homme par chaque membre,
Où sur le sol, qui meurt d’âpres sensations,
Tout frissonne ou gémit dans des convulsions.
Les sentiers creux, glissants, sous une fine pluie
Buvaient les brouillards froids que la montagne essuie ;
Les nuages rasaient les arbres dans leur vol,
La feuille en tourbillon ondoyait sur le sol ;
Les vents lourds de l’hiver, qui soufflaient par rafales,
Échappés des ravins, hurlaient par intervalles,
Secouaient le cercueil dans les bras des porteurs,
Et, détachant du drap la couronne de fleurs
Qu’avaient mise au linceul les femmes du village,
M’en jetaient en sifflant les feuilles au visage :
Symbole affreux du sort, qui jette avec mépris
Au front de l’homme heureux son bonheur en débris !
La lune, qui courait entre les pâles nues,
Tantôt illuminait les pins des avenues,