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neuvième époque.

» Mais, avant de juger mes fautes dans la foi,
» Comme homme, comme ami, mon père, écoutez-moi !
» Vous connaîtrez bientôt celles dont je m’accuse :
» Plus mes péchés sont grands, plus j’ai besoin d’excuse !


» Ma mère, qui mourut en me donnant le jour,
» Me retira trop tôt l’ombre de son amour ;
» Mon père, qui m’aimait avec trop de tendresse,
» Ne me nourrit jusqu’à quinze ans que de caresse ;
» J’étais libre avec lui comme l’oiseau des champs,
» Et toutes mes vertus n’étaient que mes penchants.
» L’âme va, comme l’onde, où sa pente l’incline :
» Je ne savais qu’aimer. À quinze ans orpheline,
» Dirai-je mon bonheur, ou mon malheur ? hélas !
» Fit descendre du ciel un ami sur mes pas,
» Un jeune homme au front d’ange, et tel qu’un cœur de femme
» En apporte en naissant l’image dans son âme,
» Tel que plus tard, hélas ! son cœur en rêve en vain,
» Fier, tendre, à l’œil de flamme, au sourire divin,
» Météore qui donne à l’âme un jour céleste,
» Et de la vie après décolore le reste !
» En un désert deux ans le sort nous enferma :
» Je l’aimai sans penser que j’aimais ; il m’aima
» Sans distinguer l’amour d’une amitié plus pure,
» Car des habits trompeurs déguisaient ma figure ;
» Et notre grotte vit les amours innocents
» De ce ciel où l’amour n’a pas besoin des sens.
» Il m’aima ! Pardonnez, ô mon père, à mes larmes !
» Pour ma bouche expirante, oui, ce mot a des charmes :
» Il m’aima ! lui ? moi ?… lui !… ce mot fait mon orgueil,
» Il résonne encor doux au bord de mon cercueil.
» Quels que soient les remords dont ma vie est semée,
» Dieu me regardera, puisque j’en fus aimée !… »