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jocelyn.


» Maintenant cherchez-vous quelle est l’intelligence
Qui croise tous les fils de cette trame immense,
Et les fait l’un vers l’autre à jamais graviter,
Sans que dans leur orbite ils aillent se heurter ?
Enfants, quand vous menez paître au loin vos génisses
Aux flancs de la montagne, aux bords des précipices,
Et qu’assis sur un roc vous avez sous vos pas
Ce lac bleu comme un ciel qui se déploie en bas.
Vous voyez quelquefois l’essaim des blanches voiles,
Disséminé sur l’eau comme au ciel les étoiles,
De tous les points du lac se détacher des bords,
Sortir des golfes verts ou rentrer dans les ports,
Ou, se groupant en cercle, avec la proue écrire
Des évolutions que le regard admire ;
Et vous ne craignez pas, mes amis, cependant,
Que ces frêles esquifs, l’un l’autre s’abordant,
Se submergent sous l’onde, ou que leurs blanches ailes,
Se froissant dans leur vol, se déchirent entre elles :
Car quoique sous la voile on ne distingue rien
Dans cet éloignement, pourtant vous savez bien
Que de chaque nacelle un pêcheur tient la rame,
Que chacun des bateaux a son œil et son âme,
Qui gouverne à son gré sa course de la main,
Et lui fait discerner et choisir son chemin.
Eh bien ! pour diriger sur l’eau cette famille,
S’il faut une pensée à la frêle coquille,
Ces mondes, que de Dieu l’effort seul peut brider,
N’en auraient-ils pas une aussi pour se guider ?
Ils en ont, mes enfants ! Dieu même est leur pilote :
C’est lui qui dans son ciel a fait cingler leur flotte ;
Chacun de ces soleils, éclairé par son œil,
Sait sur ces océans son port et son écueil ;
Tous ont reçu de lui le signal et la route,
Pour paraître à son heure, à leur point de sa voûte.