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jocelyn.

Je leur ai raconté la simple et courte histoire
Qui dans mon cœur alors tomba de ma mémoire.


« Au temps où les humains se cherchaient un séjour,
Des hommes près du Nil s’établirent un jour ;
Amoureux et jaloux du cours qui les abreuve,
Ces hommes ignorants firent un dieu du fleuve.
« Il donnera la vie à ceux qui le boiront,
» Dirent-ils ; et c’est nous ! et les autres mourront ! »
Et lorsque par hasard d’errantes caravanes
Voulaient en puiser l’eau dans leurs outres profanes,
Ils les chassaient du bord avec un bras jaloux,
Et se disaient entre eux : « L’eau du ciel n’est qu’à nous ;
On ne vit qu’en nos champs, on ne boit qu’où nous sommes :
Ceux-là ne boivent pas, et ne sont pas des hommes. »
Or, l’ange du Seigneur, entendant ces discours,
Disait : « Que les pensers de ces hommes sont courts ! »
Et, pour leur enseigner à leurs dépens que l’onde
Du ciel qui la répand coule pour tout le monde,
Il amena de loin un peuple et ses chameaux,
Qui voulaient, en passant le Nil, boire à ses eaux ;
Et, pendant que du dieu les défenseurs stupides
Interdisaient son onde à leurs rivaux avides,
L’ange, du ciel fermé rouvrant le réservoir,
Sur l’une et l’autre armée à torrents fit pleuvoir ;
Et le peuple étranger but au lac des tempêtes,
Et l’ange dit à l’autre : « Insensés que vous êtes,
» La nue abreuve au loin ceux que vous refusez,
» Et sa source est plus haut que celle où vous puisez.
» Allez voir l’univers : chaque race a son fleuve
» Qui descend de ses bois, la féconde et l’abreuve ;
» Et ces mille torrents viennent du même lieu,
» Et toute onde se puise à la grâce de Dieu :