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jocelyn.

Ainsi, Seigneur, tu fais d’un peuple sur la terre
L’outil mystérieux de quelque grand mystère ;
Sans connaître jamais ses plans sur l’univers,
À la trame des temps travaillant à l’envers,
Les nations, de l’œil à leur insu guidées,
Sont dans la main de Dieu les instruments d’idées ;
Et l’homme, qui ne voit que poussière et que sang,
Et qui croit Dieu bien loin, se trompe en maudissant ;
Il ne sait pas, captif dans sa courte pensée,
Que d’une œuvre finie une autre est commencée,
Et qu’afin que l’épi divin puisse y germer,
On laboure la terre avant de la semer.


Oh ! que nos jugements sont courts, et feraient rire
Dans le livre de Dieu celui qui saurait lire !
Que nous comprenons peu les dénoûments du sort !
Et que souvent la vie est prise pour la mort !


La caravane humaine un jour était campée
Dans des forêts bordant une rive escarpée,
Et, ne pouvant pousser sa route plus avant,
Les chênes l’abritaient du soleil et du vent ;
Les tentes, aux rameaux enlaçant leurs cordages,
Formaient autour des troncs des cités, des villages,
Et les hommes, épars sur des gazons épais,
Mangeaient leur pain à l’ombre et conversaient en paix.
Tout à coup, comme atteints d’une rage insensée,
Ces hommes, se levant à la même pensée,
Portent la hache aux troncs, font crouler à leurs piés
Ces dômes où les nids s’étaient multipliés ;
Et les brutes des bois sortant de leurs repaires,
Et les oiseaux fuyant les cimes séculaires,