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huitième époque.

Qui, pour combler aux camps les lignes décimées,
Ressortent en chantant vers ses quatorze armées ;
On ne voit qu’étendards par le plomb déchirés
Entraînant des soldats sous leurs lambeaux sacrés ;
On n’entend retentir que le canon sonore
Dont des boulets vomis la gueule est pleine encore ;
Et la ville ne voit briller à son réveil
Que d’épaisses forêts de fusils au soleil.
Et comme cette foule est prodigue de vie !
Et comme tout à coup au grand homme asservie,
Elle qui ne pouvait subir un joug plus doux,
Du tyran de sa gloire embrasse les genoux,
Sous son geste nerveux d’elle-même s’incline,
Accepte sans effort sa rude discipline,
Et semble, en se pliant à son poignet d’airain,
Le cou de son cheval ou le gant de sa main !
Ah ! c’est qu’aussi le peuple a cet instinct rapide
Qui le fait s’élancer sur les pas de son guide ;
C’est que dans le péril la faible humanité
De Dieu même a reçu l’instinct de l’unité,
Et que pour ériger en grand peuple une foule,
Le bronze extravasé doit couler dans le moule.


Où les pousse pourtant ce vague entraînement ?
Pourquoi vont-ils combattre et mourir si gaîment ?
Leur esprit ne sait pas, leur instinct sait d’avance :
Ils vont, comme un boulet, où la force les lance,
Ébranler le présent, démolir le passé,
Effacer sous ton doigt quelque empire effacé,
Faire place sur terre à quelque destinée
Invisible pour nous, mais pour toi déjà née,
Et que tu vois déjà splendide, où nos esprits
N’aperçoivent encor que poussière et débris !