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septième époque.

Que l’on a toujours vus, connus, aimés, touchés ;
Cette première couche où Dieu nous a couchés,
Cette table où servait la mère de famille,
Cette chaise où la sœur, travaillant à l’aiguille
Auprès de la fenêtre en cet enfoncement,
Sous ses cheveux épars penchait son front charmant ;
Sur les murs décrépits ces deux vieilles gravures
Dont les regards étaient toujours sur nos figures ;
Et, près du vieux divan que la fleur nuançait,
L’estrade où de son pied ma mère nous berçait.
Tout était encor là, tout à la même place ;
Chacun de nos berceaux avait encor sa trace ;
Chacun de nous touchait son meuble favori,
Et, comme s’il avait compris, jetait un cri.


Mais ma mère, entr’ouvrant la chambre paternelle,
Et nous poussant du geste : « À genoux, nous dit-elle,
» Enfants ! Voilà le lit où votre père est mort ! »
Puis tombant elle-même à genoux sur le bord,
Et des mains embrassant le pilier de la couche,
Comme nous en pleurant elle y colla sa bouche ;
Ses larmes sur le bois ruisselaient à grands flots,
Et la chambre un moment fut pleine de sanglots…
Mais des pieds de chevaux dans la cour résonnèrent,
Le marteau retentit et les cloches sonnèrent.
À ce bruit tout à coup reprenant nos esprits,
Et comme des voleurs craignant d’être surpris,
Emportant dans mes bras ma mère évanouie,
Dont cette émotion venait d’user la vie,
Dérobés aux regards par le mur de jasmin,
Je regagnai tremblant la porte du chemin,
Soutenant sur mon cœur ma mère à demi morte ;
Et, dans le moment même où la secrète porte