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jocelyn.

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Et maintenant il faut que ma plume décrive
La demeure sauvage où Dieu veut que je vive.
Vous devez, dites-vous, savoir où me trouver,
Quand d’un frère ou d’un fils votre cœur veut rêver,
Afin qu’en se cherchant, nos âmes réunies
Hantent les mêmes bords, vivent des mêmes vies.
Ô mes anges absents, suivez-moi donc des yeux ;
Je vais vous raconter la maison et les lieux.


Sur un des verts plateaux des Alpes de Savoie,
Oasis dont la roche a fermé toute voie,
Où l’homme n’aperçoit, sous ses yeux effrayés,
Qu’abîme sur sa tête et qu’abîme à ses piés,
La nature étendit quelques étroites pentes
Où le granit retient la terre entre ses fentes,
Et ne permet qu’à peine à l’arbre d’y germer,
À l’homme de gratter la terre et d’y semer.
D’immenses châtaigniers aux branches étendues
Y cramponnent leurs pieds dans les roches fendues,
Et pendent en dehors sur des gouffres obscurs,
Comme la giroflée aux parois des vieux murs ;
On voit à mille pieds, au-dessous de leurs branches,
La grande plaine bleue avec ses routes blanches,
Les moissons jaune d’or, les bois comme un point noir,
Et les lacs renvoyant le ciel comme un miroir ;
La toise de pelouse, à leur ombre abritée,
Par la dent des chevreaux et des ânes broutée,
Épaissit sous leurs troncs ses duvets fins et courts,
Dont mille filets d’onde humectent le velours,