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jocelyn.

Et sa voix s’attendrit, et sa main essuya
Des pleurs, que le regard de Laurence épia.
« Des pleurs ? des pleurs ? dit-elle avec un ton d’alarmes.
» Incrédule à leurs voix, en croirais-je leurs larmes ?
» S’ils mentaient, auraient-ils pour moi cette pitié ? »
Le doute affreux sembla l’envahir à moitié ;
Puis passant sur son front sa main roide et glacée,
Comme quelqu’un qui rêve et chasse une pensée :
« Non, cria-t-elle, non, non, je ne crois que lui !
» Lui, comme un vil parjure il se serait enfui ?
» Moi, par Dieu, par mon père, à son sein confiée,
» Comme un autre Caïn il m’eût sacrifiée ?
» Il m’eût abandonnée en cet affreux désert
» Comme un agneau trouvé qu’on caresse et qu’on perd,
» Moi sa fille, sa sœur, sans parents, sans patrie,
» Du même lait que lui pendant deux ans nourrie ?
» À son Dieu sans remords il se fût immolé ?
» Cet abri sur mon front se serait écroulé ?
» Ce cœur, dont n’approcha jamais l’ombre d’un crime,
» Se serait entr’ouvert sous moi comme un abîme,
» M’aurait toute vivante en sa mort englouti ?
» Non, non, cela n’est pas ! et vous avez menti !
» Oui, votre vil mensonge est encore un blasphème :
» Je ne le croirais pas s’il le disait lui-même ! »
Puis d’un son de voix bas, d’un air plus abattu :
« Ah ! Jocelyn, dit-elle, ah ! frère, où donc es-tu ?
» Ah ! si du pied des monts tu pouvais les entendre,
» Comme d’un œil vengeur tu viendrais me défendre !
» Comme du seul aspect tu les démentirais !
» Comme du seul regard tu les écraserais !
» Jocelyn ! Jocelyn ! à travers la distance
» Accours, viens à leurs mains disputer ta Laurence ;
» Viens me rendre, à leurs yeux, dans tes bras entr’ouverts,
» Cet asile où mon cœur braverait l’univers !… »