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cinquième époque.


Laurence écoutait tout, immobile, éperdue,
La droite avec terreur vers la sœur étendue,
Comme pour repousser de l’œil et de la main
Les coups de chaque mot, qu’elle écartait en vain ;
Son œil ouvert et morne, égaré dans le vide ;
Sa lèvre frémissante, entr’ouverte, livide ;
Sur sa bouche les mots manquant à la douleur ;
Femme changée en marbre, en ayant la pâleur !
Tout à coup je ne sais quel éclair de pensée
Lui remonta du cœur sur sa joue effacée ;
Son front reprit la vie et se teignit un peu ;
La colère anima son œil d’un sombre feu ;
Ses cheveux, par l’angoisse aplatis sur sa tête,
Ondoyèrent pareils aux flots dans la tempête ;
Sa lèvre, du courroux prenant le pli soudain,
Y mêla dans l’horreur le rire du dédain ;
De la pieuse sœur les mains jointes tremblèrent,
Et d’effroi sous son œil les pâtres reculèrent :
« Ah ! vous mentez, dit-elle ; ah ! qui que vous soyez,
» Retournez seuls vers ceux qui vous ont envoyés.
» Vous pensiez que j’étais un enfant qu’on abuse :
» Allez, mon cœur n’est pas dupe de cette ruse !
» Vous vouliez profiter d’une absence d’un jour
» Pour m’arracher aux lieux où j’attends son retour.
» Mais, s’il en est ainsi, détrompez-vous, madame !
» Car vous arracheriez plutôt le corps à l’âme,
» Et ce bloc au rocher par les siècles durci,
» Que mon cœur à son cœur et que mes pieds d’ici… »
Sa voix d’airain vibrait dans la grotte ébranlée,
Et sa main convulsive à ses parois collée
Semblait si fortement aux angles s’accrocher,
Qu’on eût dit que ses doigts s’écrasaient au rocher.
La sœur voulut parler : « Pauvre jeune insensée !
» Comment briser, mon Dieu, dans son cœur sa pensée ? »