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jocelyn.

Son corps se redressa, comme si son idée
L’eût soulevé du sol, grandi d’une coudée ;
Son bras chargé de fers s’étendit contre moi ;
Le cachot s’éclaira de l’éclair de sa foi.
Je crus voir de son front la foudre intérieure
Jaillir et serpenter dans la sombre demeure ;
Sa voix prit la colère et la vibration
Du prophète lançant la malédiction,
Des lions de Juda rugissement terrible !
« Eh bien ! puisqu’à mes pleurs vous restez insensible ;
» Puisque la charité pour un père expirant
» Ne peut en rallumer en vous le feu mourant ;
» Puisque entre le salut que le vieillard implore
» Et votre infâme amour vous hésitez encore,
» Vous n’êtes plus chrétien ni prêtre de Jésus :
» Retirez-vous de moi… je ne vous connais plus !
» Sortez de ce Calvaire où votre maître expire ;
» Vous n’êtes qu’un bourreau de plus qui l’y déchire ;
» Vous n’êtes qu’un témoin lâche, indigne de voir
» Comment le chrétien souffre et meurt pour le devoir,
» Mais digne seulement de garder dans la rue
» L’habit ensanglanté du licteur qui le tue !
» Oui, sortez de mon ombre et de ce lieu sacré ;
» Sortez, mais non pas tel que vous êtes entré ;
» Sortez, en emportant la divine colère
» Sur vous et sur l’objet… — N’achevez pas, mon père ;
» Ne la maudissez pas, arrêtez ! tout sur moi ! »
Il lut d’un seul coup d’œil sa force en mon effroi,
Comme le bûcheron voit l’arbre qui chancelle.
« Écoutez ! » me dit-il d’une voix solennelle,
» Comme s’il eût parlé d’au delà du trépas
» À des hommes de chair qui l’écoutaient en bas :
» Il est dans notre vie une heure de lumière,
» Entre ce monde et l’autre indécise frontière,