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jocelyn.

De ces deux ans passés loin de lui, de ma fuite,
De cette enfant par Dieu dans mon désert conduite,
De son triste abandon, de ma tendre pitié,
De cet amour longtemps couvé sous l’amitié,
De ces habits trompeurs qui, me cachant la femme,
À la séduction apprivoisaient mon âme ;
De ce secret fatal et découvert trop tard,
De nos serments donnés, de mon furtif départ,
De sa mort qui suivrait au même instant la mienne,
Si j’arrachais ainsi cette main de la sienne ;
Si, même au prix du ciel, d’un mot j’allais tromper
Ce cœur que du poignard mieux eût valu frapper.
Je me tus : dans ses traits indignés je crus lire
Tantôt l’horreur, tantôt un dédaigneux sourire.
« Ainsi donc, mon enfant, voilà ce grand secret
» Dont tout autre qu’un père en l’écoutant rirait ;
» Voilà dans quel honteux et ridicule piége
» L’esprit trompeur poussait vos pas au sacrilége.
» Insensé ! bénissez ce hasard de ma mort
» Qui vous prend sur l’abîme et vous arrête au bord.
» Que l’esprit tentateur prêt à vous y conduire
» Connaissait bien ce cœur qu’il avait à séduire !
» Quand il ne peut au crime entraîner nos élus,
» Il les y mène aussi, mon fils, par leurs vertus.
» Ah ! brisez son embûche et rougissez de honte !
» Quoi ! ce rêve d’une âme à s’enflammer trop prompte
» Pour un enfant jeté par hasard sous vos pas,
» Ce trouble d’un cœur pur qui ne se connaît pas,
» D’un périlleux amour cette amitié prélude,
» Mauvais fruit du loisir et de la solitude ;
» Ces élans, ces soupirs, ces serrements de main
» Que le vent de la vie emportera demain ;
» Ces jeux de deux enfants loin des yeux de leurs mères,
» Qui prennent pour amour leurs naïves chimères ;