Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/226

Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
quatrième époque.

Sur le rebord glissant, d’un trait je la suivis ;
Le gouffre d’un regard fut sondé ; je la vis,
Sur la pente des rocs dont les arêtes nues
Hérissaient les frimas de leurs pointes aiguës,
Voler jusqu’au lit creux de l’abîme profond,
Écarter du museau la neige épaisse au fond,
Et découvrir au jour, dans sa fosse glacée,
Le corps inanimé de l’enfant ! La pensée
Ne franchit pas plus vite un espace idéal :
Je fus aussitôt qu’elle au fond du creux fatal.
Sur la neige en monceaux que son pur sang colore,
Laurence évanoui, blessé, mais tiède encore,
Ses beaux cheveux souillés de sang et de glaçons,
Luttait avec la mort et ses derniers frissons :
Je me jette sur lui, je le prends, je l’enlève ;
Je l’emporte insensible et léger comme un rêve,
Comme une mère porte un enfant dans ses bras,
Sans en sentir le poids et sans faire un faux pas,
Comme si quelque force intérieure, intime,
M’eût aidé d’elle-même à remonter l’abîme.
Dans la grotte à l’abri je fus en un moment ;
J’y déposai le corps toujours sans mouvement ;
Je rallumai du feu, je tournai vers la flamme
Les pieds ; et, soutenant le front que la mort pâme
Sur mes genoux, du cri, du souffle, de la main,
J’y rappelai la vie, hélas ! longtemps en vain.
Mes lèvres ne pouvaient réchauffer sur sa bouche
Le souffle évanoui ; je le mis sur ma couche,
J’étanchai sur son front le sang qui s’y gelait.
De sa poitrine encor d’autre sang ruisselait,
Et de son vêtement souillé les déchirures
M’indiquaient sur son corps aussi d’autres blessures.
Pour lui donner de l’air et pour les découvrir,
Je déchire des dents l’habit lent à s’ouvrir…