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jocelyn.

6 novembre 1794.

Ici l’hiver précoce est déjà descendu,
Le linceul de la terre est partout étendu ;
Les vents roulent sur nous des collines de neige.
Oh ! béni soit le roc dont l’antre nous protége !
Car nous ne pourrions plus faire un pas sans péril
Hors de l’obscur abri qui cache notre exil.
On ne distingue plus les vallons de leurs cimes,
Les torrents de leurs bords, les pics de leurs abîmes ;
Le déluge a couvert d’un océan gelé
Les gorges, les sommets, et tout est nivelé,
Et les vents des frimas, labourant la surface,
Font changer chaque nuit les collines de place,
La biche même tremble, et, ne nous quittant pas,
Sur la plaine trompeuse hésite à faire un pas.
L’arche par où ces monts touchent à la vallée
D’une énorme avalanche aujourd’hui s’est comblée,
Et, comme dans une île inaccessible aux yeux,
Nous tiendra renfermés jusqu’aux mois pluvieux.


Oh ! que j’aime ces mois où, comme cette terre,
En lui-même le cœur se chauffe et se resserre,
Et recueille sa séve en cette demi-mort
Pour couler au printemps plus abondant, plus fort !
Comme avec volupté l’âme qui s’y replie
S’enveloppe de paix et de mélancolie,