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quatrième époque.

15 octobre 1794.

Les seuls événements de notre solitude
Sont le ciel plus clément ou la saison plus rude,
La fleur tardive éclose aux fentes du rocher,
Un oiseau rouge et bleu qui commence à percher
Dans le chêne, et prépare un toit pour sa famille ;
L’aigle qui de son œuf a brisé la coquille ;
Un combat, sur le lac, du cygne et du faucon ;
La plume ensanglantée y tombant à flocon ;
Des vols de corbeaux noirs qui de la voix s’assemblent,
Sous leurs ailes de jais les rameaux morts qui tremblent ;
La biche qui reprend son long duvet d’hiver,
Une aurore de feu le soir traversant l’air :
Voilà nos seuls soucis ici-bas. Mais notre âme
Est un monde complet où se passe un grand drame ;
Drame toujours le même et renaissant toujours,
Dont l’amitié suffit à varier le cours.
Les entretiens repris, les plaintes fugitives ;
Sur l’avenir douteux les vagues perspectives ;
Les plans de destinée et de vie en commun,
Cette fraternité de deux êtres en un ;
Et comment nous n’aurons à nous deux, sur la terre,
Qu’un toit, qu’une pensée, et, couple solitaire,
Nous la traverserons sans y mêler nos cœurs,
Comme un couple d’oiseaux dont le gîte est ailleurs.
Sur ces plans d’avenir quand par hasard j’insiste,
Laurence écoute moins ; l’avenir le rend triste ;