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jocelyn.

Le glacier suspendu m’oppose en vain son mur,
Je me laisse glisser sur ses pentes d’azur ;
Je retrouve Laurence au pied de la montagne,
Car je ne permets pas encor qu’il m’accompagne.
Il passe alors son bras plus faible sous le mien ;
Je lui conte mon jour, il me conte le sien ;
Nous rentrons, il me dit combien nos tourterelles
Ont couvé le matin d’œufs éclos sous leurs ailes,
Combien la chèvre noire a donné de son lait,
Ou de petits poissons ont rempli son filet ;
Il me montre les tas de mousses et de feuille
Que pour tapisser l’antre avant l’hiver il cueille,
Les fruits qu’il a goûtés et rapportés du bois,
Et dont l’épine aiguë ensanglante ses doigts,
Les bras de vigne vierge, ou de lierre qui flotte,
Qu’il a fait serpenter dans les flancs de la grotte,
Les oiseaux qu’il a pris en leur jetant du grain,
Et les chevreuils privés qui mangent dans sa main :
Car, soit par préférence ou soit par habitude,
Tous ces doux compagnons de notre solitude,
Biches de la montagne, élans, oiseaux des bois,
Accourent à sa vue et volent à sa voix.


Nous mangeons sur la main ce que le jour nous donne,
Le lait, les simples mets que la joie assaisonne ;
Nous mordons tour à tour à des fruits inconnus,
Ou pour nous abreuver nous en pressons le jus :
Pour les mortes saisons, nous mettons en réserve
Ceux que le soleil sèche et que le temps conserve.
À chaque invention de l’un, l’autre applaudit ;
On prévoit, on combine, on se trompe, et l’on rit ;
Dans ces mille entretiens le long soir se consume ;
Sur le foyer dormant le dernier tison fume,