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jocelyn.

En vain l’homme, orgueilleux de ce néant qu’il fonde,
Croit échapper lui seul à cette loi du monde,
Clôt son symbole, et dit, pour la millième fois :
« Ce Dieu sera ton Dieu, ces lois seront tes lois ! »
À chaque éternité que sa bouche prononce,
Le bruit de quelque chute est soudain la réponse,
Et le temps, qu’il ne peut fixer ni ralentir,
Est là pour le confondre et pour le démentir ;
Chaque siècle, chaque heure, en poussière il entraîne
Ces fragiles abris de la sagesse humaine,
Empires, lois, autels, dieux, législations ;
Tentes que pour un jour dressent les nations,
Et que les nations qui viennent après elles
Foulent pour faire place à des tentes nouvelles ;
Bagage qu’en fuyant nous laissons sur nos pas,
Que l’avenir méprise et ne ramasse pas.


Depuis ces jours obscurs, dont la tardive histoire
A jusqu’à nos moments traîné quelque mémoire,
Avec combien de cieux le temps s’est-il joué ?
Combien de fois la terre a-t-elle secoué,
Comme l’arbre au printemps ses arides feuillages,
Les croyances, les lois, les dieux des autres âges ?
C’est demander combien de feuillages flétris
Ont engraissé le sol formé de leurs débris,
Ou combien de ruisseaux et de gouttes d’orages
Ont fait enfler les mers sans fond et sans rivages ?


Oui, l’esprit du Seigneur travaille incessamment
Par l’esprit des mortels, son aveugle instrument ;
Il a donné pour vie à la pensée humaine
Ce flux et ce reflux qui l’apporte et l’entraîne :