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jocelyn.

28 février 1793.

Je creuse nuit et jour dans mes réflexions
Cet abîme sanglant des révolutions,
Du grand corps social remède ou maladie
Qui brise ou rajeunit la machine engourdie ;
De la nature humaine incalculable effort,
Qui fait lutter en elle et la vie et la mort.


Pour tenir les bassins égaux de la balance
Où l’on veut les peser, il faut un grand silence
Des passions du siècle et de ses intérêts ;
La main tremble à qui veut les juger de trop près :
Comme au juge placé trop bas dans la carrière,
Le but est trop souvent caché par la poussière.
Mais, jeune, enseveli dans l’ombre du saint lieu,
Hors du siècle, et voyant tout au seul jour de Dieu,
Peut-être juge-t-on de plus haut ce problème,
Ce procès éternel du temps contre lui-même,
Cette lutte fatale où le passé vaincu
Dit pour toute raison de vivre : « J’ai vécu. »
Qui peut sonder de Dieu l’insondable pensée ?
Qui peut dire où finit son œuvre commencée ?
Des mondes à venir lui dérober le soin ?
Lui dire comme aux flots : « Tu n’iras pas plus loin ? »
Devant cet océan placer son grain de sable,
Et tarir d’un seul mot l’abîme intarissable ?