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ACTE II, SCÈNE II

L’homme de la nature est vaincu par un cri !
Profitez du moment où ce cœur double hésite,
Atteignez à tout prix ce chef qui vous évite,
Ne lui refusez rien, gorgez sa passion ;
Il vaut cela ! Cet homme est une nation !

leclerc.

Comment le découvrir ? Dans tous ceux que j’envoie,
De sa retraite encor nul n’a trouvé la voie.
De mon âme à la sienne, il brise tous les fils.
Ces envoyés de paix, où l’aborderont-ils ?

rochambeau.

Où l’éléphant s’arrête, on voit passer l’insecte.
Si dans la main des blancs toute lettre est suspecte,
Cherchez pour la porter la main d’un mendiant
Noir, qui parmi les noirs se glisse en suppliant,
Et qui, jusqu’à Toussaint, se frayant une route,
Cache à ses yeux trompés l’envoyé qu’il redoute.
Il secourra du pied le piège, irrésolu,
Mais il sera trop tard, le sauvage aura lu !

leclerc.

Mais où trouver ce noir, qui, pour un vil salaire,
De l’âme de Toussaint affronte la colère ?
Quel misérable, assez abandonné du sort,
Pourra mettre en balance un salaire et la mort ?
Le fond de la misère a-t-il un pareil être ?
Dans quel égoût chercher ?…

rochambeau.

Dans quel égoût chercher ?…Sous votre main, peut-être.

En montrant Toussaint.

Voyez sous ces haillons cet aveugle accroupi
Qui rêve un os rongé comme un chien assoupi ;
Traînant, les yeux éteints, des jours près de s’éteindre,
Du courroux de Toussaint, hélas ! que peut-il craindre ?