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ACTE II, SCÈNE II

Et de t’être élevé, comme un médiateur,
Au milieu d’un conflit dont tu n’es pas l’auteur ?
Ce sang retombera sur la seule anarchie
D’où sortit a ta voix ta couleur affranchie.
Veux-tu prendre sur toi celui qui va couler ?…
Si tu laissais encor les races se mêler,
Ton hésitation en serait responsable ;
Dieu te l’a-t-il donné pour arroser le sable,
Pour en faire l’appoint de tes propres profits,
Pour en payer aux blancs la rançon de tes fils ?
Tu tiens entre tes mains les clefs des ports de l’île,
Jette-les dans la mer, puis attends, immobile ;
Les tempêtes de Dieu seules vous défendront.
Les blancs sauvant leur vie au prix de cet affront,
Du sommet de leurs mats saluant le grand morne,
Reconnaîtront bientôt que l’Océan vous borne.
Ce peuple, sans combat, pour ses ports reparti,
N’aura coûté qu’un mot au maître d’Haïti !

toussaint.

Leur refuser les ports, c’est déclarer la guerre !
Il me faut accorder le chef avec le père.
Attendons à demain.

le moine.

Attendons à demain.À présent, ou jamais !
Écoute-moi, Toussaint. Il est de ces sommets
Qu’on ne redescend plus ! C’est le point où nous sommes.
Ou monter ou tomber, c’est la loi des grands hommes.
Si tu tombes du faîte où ton Dieu t’a porté
Toute ta race tombe avec la liberté.

toussaint.

Si je perds mes enfants, que m’importe ma race !

le moine.

Si tu perds tes enfants, un peuple les remplace.
À ta vaste famille, aveugle, ouvre tes bras.